Allégorie d'Internet dans un petit village de campagne

Article paru dans La veille sur la veille

Dans ce petit village, il n’y a pas d’Internet.

Il y a une place avec son bistrot, et en étoile autour, quelques rues.

Et il y a Madame Michu.

De sa fenêtre, elle a vu vendredi que M. Gontran s’était fait livrer un matelas. Elle en a fait part à sa copine de gym Madame Colette dont le petit fils vends du linge de maison.

Lundi, le petit fils de Madame Colette ira déposer un prospectus pour des beaux draps en coton, et vendredi, il se permettra de sonner chez M. Gontran. C’est tout de même bien pratique de savoir où un client tombé du ciel habite.

Madame Michu, elle sait tout, car elle voit tout. Même la petite Clothilde d’en face qui sort la nuit à l’insu de ses parents pour galocher des heures durant le fils du boucher sous le porche. Vendredi dernier, ils ont fait bien plus que s’embrasser. Madame Michu l’a vu, mais elle garde ça pour elle.

Comme la pharmacienne à qui le don Juan a acheté ses premières capotes.

Et la grosse voiture toute neuve de son crétin de voisin, on en parle ? C’est louche, elle le sent. Il ne gagne pas assez pour ça. Elle le sait, elle entend ses conversations au guichet de la poste, et il ne roule pas sur l’or. La prochaine fois où il lui parlera mal une fois de trop, elle, elle ira parler de sa voiture aux impôts.

Pour le locataire d’en face de sa copine Madame Colette, c’est plus délicat. Ce ne serait pas étonnant qu’il ne passe pas le printemps avec cette infirmière qui passe tous les matins le voir.

D'ailleurs, l’agent immobilier, M. Guy, l’a bien vu lui aussi. Il se prépare à intervenir pour l’éventuelle succession. Il connait bien les enfants, ils habitent en région Parisienne, ont trois gamins, et n’aiment pas la campagne. Ils vendront, c’est sûr.

Dimanche, le petit fils de Madame Michu lui a raconté Internet. Ces forts hommes, ces blocs, ces moteurs de recherche, Lick Dean et un stade gras. Elle a trouvé Internet fantastique, elle qui adore apprendre des choses à tout bout de champs. Un très gros village en somme.

Elle est restée perplexe lorsqu’il lui a expliqué avec passion la protection des données personnelles, celle de la vie privée, et l’interdiction d’utiliser ce qu’on apprend sur la vie des autres sans leur autorisation.

Lesquels autres étalent la leur au grand jour sur le visage d’un bouc.

Dans son petit village, il n’y a pas d’Internet, mais tout se sait.

C’est comme ça. Et on n’en fait pas tout un fromage.

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